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Histoire


Bintou Sanankoua
La chute de Modibo Keita

Coll. Afrique Contemporaine, dirigée par Ibrahima Baba Kaké
Paris. Editions Chaka. 1990. 196 p.


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Préface

Lorsque le Professeur Ibrahima Baba Kaké m'a proposé un jour de juillet 1987 à Bamako de traiter « La chute de Modibo Keïta » dans le cadre de la nou.velle collection « Histoire contemporaine» qu'il vient de créer avec « Africa », j'ai tout de suite répondu oui.
J'ai tout de suite répondu oui avant même de réfléchir parce que cela répondait à un appel intérieur qui somnolait en moi. Je pensais depuis longtemps que le « règne » de Modibo Keïta était une étape importante de l'histoire du Mali. L'expérience politique qu'il a tentée mérite d'être connue et analysée. Le Professeur Kaké offrait une occasion qu'il fallait saisir au bond. Par ailleurs le Professeur Kaké m'avait également dit que plusieurs historiens africains travaillaient déjà à cette collection qui se propose de couvrir l'histoire récente de la plupart des pays de l'Afrique de l'Ouest. J'ai naturellement pensé que le Mali devait être présent à ce rendez-vous des historiens africains.
Aussi quelle ne fut ma surprise devant la réaction négative de certains amis et parents très proches lorsqu'ils apprirent que je devais traiter un sujet sur Modibo Keïta. Pour les uns, c'était de la prétention. Je n'avais à leurs yeux aucune compétence pour traiter un tel sujet étant donné mon profil d'historienne du XIXè siècle. Pour les autres un tel sujet comportait trop de risques. Il y a les compagnons de Modibo Keita et le régime en place. ils peuvent ne pas apprécier.
C'est seulement après avoir enregistré ces premières réactions que j'ai commencé à vraiment réfléchir sur l'opportunité de traiter le sujet.
Ma réflexion m'a confirmée dans mon premier choix. Les arguments de mes amis et parents ne tiennent pas. Un historien du XIXè siècle peut parfaitement traiter un sujet d'histoire contemporaine. Les règles de l'écriture de l'histoire ne changent pas d'un siècle à l'autre. Ensuite on n'écrit pas l'histoire pour faire plaisir à une catégorie de personnes ou pour provoquer un pouvoir en place. L'histoire permet aux générations présentes et futures de connaître les faits et actes des générations antérieures. Les historiens africains doivent s'acquitter de cette dette vis-à-vis des générations à venir.
De plus, je suis un témoin privilégié de cette période de l'histoire du Mali. J'ai appartenu à cette jeunesse militante des années 60 qui revendiquait l'indépendance et qui croyait en l'avenir du continent africain. J'ai milité dans les rangs de la jeunesse estudiantine malienne. Avec des centaines de jeunes Maliens, j'ai pleuré toutes les larmes de mon corps à l'assassinat de Patrice Lumumba, marché dans les rues de Bamako pour dénoncer ce crime odieux perpétré par l'impérialisme. Nous avons manifesté à plusieurs reprises pour soutenir la guerre de libération de l'Algérie et nous nous sommes réjouis à la victoire finale. Nous avons salué la naissance de l'OUA. Nous avons applaudi Ben Balla et Hassan Il quand ils ont accepté de venir régler leur différend frontalier à Bamako. Nous avons marché dans les rues de Bamako à la chute du président N'Kwamé NKrumah pour encore dénoncer l'impérialisme. Nous avons manifesté contre les bombardements américains et la guerre imposés au vaillant peuple du Viet-Nam. J'ai appartenu à cette catégorie de la jeunesse malienne qui se posait bien des questions à propos de la révolution active.

C'est donc en élément conscient que j'ai assisté en cette journée du 19 Novembre 1968 à la chute du régime de Modibo Keïta. A mon réveil le matin, je ne me doutais de rien. Je me suis donc rendue comme d'habitude à l'Ecole Normale Supérieure sur la colline de Badalabougou où je devais avoir de 8 H à 10 H un cours de géographie avec le professseur Yaya Bagayoko. Il est 8 h passées et le professeur n'est toujours pas là. Nous ne tardons pas à réaliser que tous ceux qui, — élèves, professeurs et directeurs — habitaient de l'autre côté du fleuve n'étaient pas là. Après deux heures d'attente, nous décidons de rentrer. Qu'est-ce qui se passe ? Tout est pourtant calme à Badalabougou.

De retour à la maison, je décide de sortir pour essayer de voir, de savoir, de comprendre ce qui se passe. Je m'adresse à un responsable syndical qui habitait pas loin de chez moi. Il me dit n'être au courant de rien. Je décide d'aller voir un député qui habitait un peu plus loin. Il me renvoie à ma radio et me demande de faire comme lui : rester à la maison et écouter la radio. Je décide d'aller au marché. Tout y paraît normal. Les gens font normalement leurs achats et retournent chez eux.
C'est alors que je décide de retourner à la maison et d'écouter la radio. Je suis rejointe par un camarade, étudiant à Dakar encore en rade à Bamako. Nous devinons ce qui se passe. Les militaires tentent de s'emparer du pouvoir. Réussiront-ils ? Nous dissertons sur la signification pour le Mali et les Maliens d'un pouvoir militaire. Nous n'aboutissons d'ailleurs pas aux mêmes conclusions.
Pour toutes ces considérations, je pense que je suis apte à retracer ces journées chaudes de novembre où le pouvoir change de main à Bamako. Non pas en partisane, mais en historienne. Non pas pour plaire, déplaire ou provoquer. Mais pour faire savoir comment les choses se sont passées. Et puis, il est de la responsabilité des historiens maliens — de toutes époques — d'écrire et de faire connaître l'histoire lointaine et immédiate du Mali.
Au cours de mes enquêtes, certains de mes interlocuteurs ont tiqué lorsque j'ai parlé de la chute de Modibo. Le terme « chute » avait pour eux une connotation négative. D'autre souhaitaient me voir écrire leur appréciation de la situation. La grande majorité a bien et honnêtement collaboré.
C'est en historienne que j'ai accepté ce sujet. C'est en historienne que je le traite. J'invite tous ceux qui ne sont pas d'accord avec les lignes qui suivent, qui ont une autre perception des thèmes abordés (historiens, politiciens, militants, simples citoyens) à donner par écrit, aux générations présentes et futures leur interprétation des faits.

Bamako, le 20 Janvier 1989.

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