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Joseph-Roger de Benoist
L'Afrique occidentale française
de la Conférence de Brazzaville (1944) à l'indépendance (1960)

Dakar. Nouvelles Editions africaines. 1982. 617 pages


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Deuxième Partie
L'Afrique en mouvement sous des gouvernements d'immobilisme (1951-1956)

Chapitre IV
Evolution du visage politique de l'A.O.F. (suite)

II. L'administration et les partis

« S'il est vrai que les fonctionnaires en A.O.F., représentant 1/60e de la population, se partagent 1/7e du revenu national, soit un revenu 9 fois supérieur à celui d'un cultivateur et 19 fois celui d'une famille d'éleveurs, il n'en reste pas moins que cette “caste de privilégiés” qui fournit dans l'ensemble élus et grands électeurs, joue un rôle prédominant au moment où nous sommes de l'évolution politique et sociale de l'A.O.F. » 1.

Ce jugement, porté en 1954 par le Haut-Commissaire Bernard Cornut-Gentille, montre combien le dialogue entre les fonctionnaires de commandement et les élites d'A.O.F. était essentiellement un dialogue du pouvoir colonial avec ses fonctionnaires.
Ceux-ci étaient nombreux dans les Assemblées territoriales. Quelques chiffres, concernant les assemblées élues en 1952, donnent une idée de ce “poids” des fonctionnaires (et en particulier des anciens diplômés de l'Ecole Normale William-Ponty) au sein de la représentation locale :

Territoires Elus du 2e collège Fonctionnaires % Diplômés W.-Ponty %
Côte d'Ivoire 32 19 59,3 14 43,7
Haute-Volta 40 24 60 7 17,5
Niger 24 17 70,8 2 8,3
Sénégal 50 36 72 16 32 2

Les fonctionnaires constituaient aussi la majorité des dirigeants des partis politiques. La période 1951-1956 a été marquée par une évolution des rapports entre les pouvoirs publics et les partis fédéraux. Après l'affrontement de 1949 et 1950, « le R.D.A. collabore avec l'Administration : c'est la “pause», car son évolution n'est certainement pas terminée … Il est essentiel, écrit alors Bernard Cornut-Gentille 3, que notre position, de bonne foi comme de vigilante attention, soit déterminante » dans l'orientation prise par le mouvement.

Cette position de l'administration a été d'abord empreinte de méfiance, puis évolua progressivement jusqu'à la collaboration et au soutien actif dans les élections.

Par contre le Bloc Démocratique Sénégalais, et plus largement les I.O.M., étaient « marqués par la nécessité organique, sur le plan local sénégalais comme sur le plan de la Fédération, d'aller sans cesse de l'avant et d'échapper à toute stagnation » 4.

Les socialistes ne bénéficiaient plus du soutien administratif comme pendant les six années précédentes. Leurs positions étaient grignotées par les autres formations, les dirigeants traditionnels étaient contestés par une nouvelle génération de militants.

A. L'administration

1. Vers une gestion démocratique des affaires

On a souvent reproché aux réformes réalisées en 1946 d'avoir visé à donner aux Africains des députés à Paris avant de former des conseillers municipaux à la base. Les responsables locaux de l'administration sentaient le besoin de mener de front les deux aspects de cette évolution dont l'orientation avait été fixée à Brazzaville : conduire les populations à gérer démocratiquement leurs affaires. Il fallait en même temps élargir les responsabilités des dirigeants africains au niveau des territoires et donner aux hommes de la base l'occasion de faire leur apprentissage dans des institutions au niveau de la subdivision ou du cercle.
En 1954, le Haut-Commissaire évoquait l'opportunité de créer un « conseil exécutif élu par moitié et nommé par moitié auprès du Chef du territoire, dont le rôle serait ainsi transformé en celui d'un Commissaire du gouvernement chargé d'un simple pouvoir de surveillance et de contrôle. Si tel devait être le terme de cette réforme, il importerait qu'elle apparût comme celui d'une réforme politique consciente, et non, comme trop souvent dans toutes ces matières, dont les résonances sont plus affectives que juridiques, comme une “conquête” arrachée sous la pression » 5.
A la base, « un ensemble de collectivités (cercles, éventuellement subdivisions), dotées de conseils judicieusement dosés et pourvus de pouvoirs délibérants, permettrait de conjuguer la notion trop exclusive de hiérarchie administrative avec la formule plus évoluée de tutelle. Elle assouplirait, par là même, en les délimitant de façon plus précise, les rapports de l'Exécutif et des élus locaux. Ainsi tout en dotant le commandement d'une structure plus efficace parce que “collant au terrain”, on s'acheminerait plus sûrement vers le but final fixé par le législateur : conduire les populations à gérer démocratiquement leurs affaires » 6.
Devant le Grand Conseil de l' A.O.F., le ministre Jacquinot reconnut que la démocratie « doit s'étendre aux campagnes et aux agglomérations (autres que les villes les plus importantes), tout en respectant cependant leurs propres personnalités et en aménageant les étapes nécessaires ». Et le ministre annonça que “pour le pays rural”, le gouvernement déposerait « un projet de loi permettant la création de conseils de circonscriptions » 7.
Le projet fut effectivement déposé. En novembre 1954, la commission de politique générale de l'Assemblée de l'U.F. adopta l'avant-projet du rapport Laurin sur ce projet de création en A.O.F. de conseils de subdivision et d'institution de budgets de cercle. Le texte vint en discussion générale au mois de mai 1955. Cazelles, rapporteur pour avis de la commission des affaires financières, préconisa la création de communes rurales sur la base traditionnelle. Gros, au nom du groupe S.F.I.O., déposa un contre-projet. Le secrétaire d'Etat à la F.O.M., Bayrou, rappela qu'il n'était pas question de fixer de Paris un cadre rigide qui s'appliquerait à des régions très diverses, mais qu'il s'agissait d'établir une loi-cadre qui fixerait les principes et laisserait aux autorités locales le soin de déterminer les modalités d'application. Le résultat concret fut que projet et contre-projet furent renvoyés à une séance ultérieure 8.
Quatre mois plus tard, Pierre-Henri Teitgen, alors ministre de la F.O.M., reconnaissait avec amertume que « le projet de loi qui tend à l'institution de conseils de cercle et de subdivision en (était) encore au début de la procédure parlementaire » 9.

2. Un encadrement vieillissant

Le Gouvernement général avait établi à la fin de 1954 le tableau des besoins théoriques en personnel de commandement, abstraction faite des emplois de chefs-lieux :

Or il disposait, pour les besoins cumulés du commandement et des chefs-lieux (excepté Dakar), des effectifs ci-après :

L'encadrement était donc constitué surtout par des administrateurs en fin de carrière. Les territoires changeaient fréquemment de gouverneurs : à l'exception du Dahomey, ils eurent quatre et même cinq gouverneurs entre 1951 et 1956. Certains de ceux-ci dirigèrent jusqu'à trois territoires en cinq ans.
On comprend le jugement global que Bernard Cornut-Gentille portait sur ses collaborateurs :

« Le vieillissement des cadres, de rituelles habitudes de cooptation pour les affectations, héritées d'une époque révolue, donnent trop souvent à l'Exécutif un caractère exagéré de stabilité ou d'instabilité, qui se traduit par une inadaptation aux éléments concrets et humains du champ d'application de cette autorité » 11.

Et le Haut-Commissaire proposait des remèdes :

« L'équivoque, la confusion, le flottement, parfois le découragement qui marquent l'état d'esprit et l'action de bon nombre d'administrateurs exigent plus qu'une circulaire du Gouvernement général et je pense que c'est à l'échelon national que plusieurs sortes de mesures doivent être prises : rajeunissement des cadres supérieurs …, revalorisation de la fonction …, stages pour les fonctionnaires d'autorité …, recrutement d'administrateurs pris parmi les Africains originaires d'A.O.F …, établissement d'une “Grande Instruction” par le ministre de la F.O.M. à l'intention des administrateurs en poste, leur fixant les grandes lignes de la politique générale » 12.

3. Les fonctionnaires : trop et pas assez

En 1939, il y avait en A.O.F. 22 000 fonctionnaires, qui absorbaient 40 % du budget. En 1952, ils étaient 45 000, dont 6 000 recrutés en 1950-1951, et il fallait consacrer 63 % du budget au fonctionnement de l'administration. Et le Haut-Commissaire déclarait :

« Notre administration est en pleine crise de croissance. Il y a, à la fois, trop et pas assez de fonctionnaires, et ceux-ci sont, en même temps, spécialement à certains échelons, trop payés en un sens — celui de la faiblesse de nos ressources —, et pas assez dans un autre, celui de leurs aspirations » 13.

Pour permettre aux Grands Conseillers de se faire une idée du coût de l'administration, le Gouvernement général leur communiqua le coût moyen des divers cadres de fonctionnaires à la charge du budget général :

Métropolitains Africains
Cadre général 1 250 000 900 000
Cadre commun supérieur 1 050 000 525 000
Cadre commun secondaire 450 000 450 000
Cadre local 300 000
Contratuel 730 000
Auxiliaire 300 000 14

Deux ans plus tard, le Haut-Commissaire proposa aux Grands Conseillers un relèvement des indices des fonctionnaires des cadres locaux, “très dignes d'intérêt” 15.
La solidarité et l'unité de la fonction publique à travers l'ensemble de l'A.O.F. avaient été révélées en 1951. La loi Lamine Guèye faisait bénéficier les fonctionnaires d'allocations familiales et de primes diverses, plus élevées si les intéressés n'étaient pas dans leur territoire d'origine. Aussi pour réduire « les charges importantes qui résulteront désormais de l'affectation des fonctionnaires hors des territoires d'origine », le Gouvernement général prescrivait « qu'une redistribution du personnel (soit) effectuée dans les meilleurs délais ». Cette redistribution affectait les cadres généraux et communs. Les agents des cadres locaux en situation hors cadres seraient réaffectés à leur territoire d'origine ; s'ils préféraient rester sur place, ils seraient intégrés dans le cadre local, dans les mêmes conditions que les originaires du territoire 16.
Cette circulaire souleva une très grande émotion à travers toute la fédération. Le Grand Conseil se saisit de l'affaire et obtint de faire rapporter la décision 17.

4. Déconcentration et décentralisation

La déconcentratrion administrative était régulièrement réclamée par les représentants des territoires, et surtout des plus éloignés de Dakar, dont l'autorité apparassait à la fois lointaine et étouffante :

« Tant pour des raisons d'efficacité que d'économie, nous désirons une large déconcentration des services administratifs » 18.

Chaque année également, le Haut-Commissaire réaffirmait sa volonté de redonner aux territoires des responsabilités qui avaient été confisquées par le Gouvernement général et parfois par le département. Mais il était lui-même sceptique :

« Dans la réalité, la décentralisation administrative est illusoire : le département comme le Parlement évoquent trop souvent des matières sur lesquelles les Conseils délibèrent et statuent. Le Grand Conseil interfère avec les Conseils locaux sur les mêmes questions et les détails de gestion évoqués par les Assemblées alourdissent encore l'ensemble »

et il résumait la situation par une formule lapidaire :

« Le Gouvernement général est de trop ou pas assez » 19.

Et il expliquait son point de vue :

« Un exécutif renforcé à l'échelon fédéral de telle sorte qu'il y ait de moins en moins de gouvernement général, amputé de la gestion qu'il a présentement, et de plus en plus de haut commissariat, doté de pouvoirs d'autorité et de décision qu'il n'a pas actuellement, s'accompagnerait heureusement d'une augmentation des pouvoirs de gestion, ainsi transférés, des gouverneurs et des assemblées locales » 20.

L'année suivante, il lançait un autre slogan :

« La fédération est faite pour les territoires et non pas ceux-ci pour elle : c'est une vérité que toute l'administration fédérale devrait inscrire en majuscules dans chaque bureau du building du Gouvernement général » 21.

Mais c'est la fédération elle-même qui était mise en cause, et par le ministre. Pierre-Henri Teitgen déclarait le 23 juillet 1955 à Dakar :

« Les élites africaines veulent accéder aux responsabilités de la gestion de leur pays. Théoriquement, il suffirait pour cela de donner davantage de pouvoirs aux Assemblées territoriales. Il suffirait de créer des institutions semblables au Conseil de gouvernement du Togo. Et cela sera effectivement réalisé dans un délai assez court pour certains territoires. Je dis : pour certains territoires, parce que c'est là que le problème se complique. Si les huit territoires de la Fédération en étaient exactement au même point, il serait relativement facile de les doter tous d'institutions nouvelles, de modifier en même temps leurs rapports avec le Gouvernement général et de construire un édifice harmonieux. Mais je savais déjà — et les conversations avec les élus me l'ont confirmé — que si certains territoires ont les ressources humaines et économiques suffisantes pour acquérir dès maintenant une certaine autonomie, d'autres auraient tout à perdre de ces modifications. Il faut donc étudier les problèmes posés par chaque territoire en particulier et les résoudre de façon indépendante, car il ne peut être question de faire marcher tout le monde au rythme du territoire le plus lent » 22.

L'éclatement de la Fédération était inscrit dans cette déclaration.

5. Des projets de restructuration

« L'A.O.F. est trop grande et le territoire trop petit ». Cette formule est de l'inspecteur général Pierre Sanner, chargé par Pierre-Henri Teitgen de préparer les réformes nécessaires.
Elle exprimait une conviction partagée depuis longtemps par plusieurs responsables de l'administration et de la politique coloniales. Nous avons étudié ailleurs 23 les divers projets de redécoupage de la Fédération. Nous rappelons ici l'essentiel de ceux qui ont été proposés entre 1954 et 1956.
En octobre 1954, deux projets parurent. L'un présenté par le gouverneur général Georges Rey, proposait la constitution de trois territoires : l'un, à l'Ouest, regrouperait la Mauritanie, le Sénégal et les régions occidentales de la Guinée et du Soudan ; le second, au Centre, serait composé de la Côte d'Ivoire, de la Guinée forestière, du Soudan oriental et de la Haute-Volta ; le territoire de l'Est comprendrait le Dahomey et le Niger 24.
Le second projet signé Senghor, reprenait une idée lancée sept ans plus tôt par J.-J.Juglas 25 :

« Je vois l'A.O.F. divisée en deux territoires formés chacun de zones complémentaires. Il y aurait un territoire dont la capitale serait Dakar, qui engloberait le Sénégal, la Mauritanie, le Soudan et la Guinée. Il y aurait un autre territoire intégré, dont la capitale serait Abidjan, qui engloberait la Côte d'Ivoire, la Haute-Volta, le Niger et le Dahomey » 26.

L'hebdomadaire “Marchés coloniaux” étudia l'aspect économique du projet (8 700 000 habitants autour de Dakar et 9 300 000 autour d'Abidjan) et conclut : « La réalisation de deux budgets fédéraux, isolément en équilibre, parait grosso modo possible » 27.
Décidé à mener à bien les réformes nécessaires, le ministre de la F.O.M., Teitgen, arriva à Dakar le 21 juillet 1955. Devant les gouverneurs et directeurs généraux du Gouvernement général, son conseiller Pierre Sanner commença par présenter l'A.O.F. comme un «ensemble démesuré et misérable». Il écarta la solution qui supprimerait totalement le Gouvernement général : la Métropole serait obligée de supporter le déficit budgétaire des cinq territoires qui ne constituaient pas des entités viables : Mauritanie, Soudan, HauteVolta, Niger et Dahomey. La note à payer, selon les chiffres de l'année en cours, serait d'environ 11 milliards de francs CFA.
Mieux valait constituer de nouvelles entités : un groupe Sénégal, Mauritanie, Soudan, Guinée; un groupe Côte d'Ivoire, Haute-Volta; un groupe Dahomey-Niger. Seul ce dernier serait en déficit : 2,6 milliards de francs CFA, toujours selon les chiffres de 1955.
Le Haut-Commissaire, résidant à Paris, serait le conseiller du gouvernement, le tuteur des responsables des trois groupes, le modérateur des dirigeants africains, le chargé de la défense et des relations extérieures.
Devant le peu d'enthousiasme des gouverneurs, le ministre demanda à son conseiller d'étudier une autre formule qui permettrait d'appliquer une réforme “sur mesure” pour chaque territoire. Consultés par Sanner, Pierre Messmer, gouverneur de la Côte d'Ivoire, souhaita que son territoire, dans un délai de trois ans, soit doté d'institutions plus “avancées” que celles du Togo et du Cameroun, et Casimir Biros, gouverneur du Dahomey, estima qu'une évolution différente suivant les territoires était irréalisable.
Du nouveau projet élaboré par son conseiller, le ministre retint deux idées : le groupe de territoires serait dissous et les territoires. devenus autonomes seraient rattachés directement à Paris ; d'autre part, la distinction entre services d'Etat, chargés des fonctions de souveraineté, et services territoriaux, permettrait de réduire le déficit budgétaire. En effet, la rémunération des fonctionnaires territoriaux serait “décrochée” des échelles de salaires de la fonction publique métropolitaine. Et sans attendre, le ministre déposa un projet de loi en ce sens (cf. p. 173) : le premier pas avait été fait vers la désintégration de l'A.O.F. 28.

B. Les partis fédéraux

Même si certains d'entre eux ne se sont pas regroupés tout de suite en une organisation structurée, les principaux partis politiques d'A.O.F. se rattachaient à trois grands courants :

1. Le R.D.A. : les “réalistes”

Nous avons vu que c'est dans son pays d'origine que le Président du Mouvement avait lancé «un appel au calme et à l'union pour l'édification d'une Côte d'Ivoire riche et prospère au sein de l'Union Française ” 29. Il lui faudra du temps pour vaincre toutes les méfiances, surtout du côté des Européens. Certains d'entre eux, en très petit nombre, se rallièrent au R.D.A. pour les élections territoriales du 30 mars 1952. Et ce n'est qu'en mai et juin 1954 que le P.D.C.I. pourra constituer des listes communes avec les “colons” pour les élections municipales d'Abidjan et de Bouaké.
Dans le même temps, Félix Houphouët-Boigny commençait à rompre les liens qui unissaient la Confédération Générale du Travail, à laquelle appartenaient beaucoup de militants du R.D.A., avec la Centrale métropolitaine (cf. infra p. 227).
Le raisonnement était toujours le même :

« Nous avons quitté les communistes, parce que cet apparentement, déformé, mal interprété, risquait de nous détacher de certaines couches de nos masses. Nous les avons quittés parce que, sous couvert de combattre un soit-disant communisme, on en profitait pour développer dans nos territoires une politique rétrograde contraire aux intérêts de l'U.F. (Nous avons voulu rester) fidèles aux principes fondamentaux du programme de Bamako qui plaçait notre lutte revendicatrice dans le cadre de la République et de l'U.F. » 30.

Sur le plan syndical, l'administration anti-communiste se montrait « toujours extrêmement réticente pour donner une suite favorable aux doléances émanant d'une centrale cégétiste » 31.

Le 6 février 1952, le groupe parlementaire R.D.A. annonçait son apparentement au groupe de l'Union Démocratique et Socialiste de la Résistance (U.D.S.R.). La décision était habile : en se joignant à une formation peu nombreuse, le R.D.A. montrait qu'il n'acceptait plus d'être inféodé à un parti puissant dont il ne serait qu'un instrument ; et même, cet appoint était précieux pour l'U.D.S.R. sur le plan parlementaire, et par là, Houphouët-Boigny manifestait sa reconnaissance aux deux dirigeants de l'U.D.S.R., René Pleven et François Mitterrand, qui avaient facilité le retour du R.D.A. dans la majorité, le premier comme président du Conseil des ministres, le second comme ministre de la F.O.M.
Mais le problème le plus grave se posait au sein même du R.D.A. Le secrétaire général, Gabriel d'Arboussier, démissionnaire le 7 juillet 1950, écrivait à Houphouët-Boigny le 25 avril 1952 pour lui exprimer son intention de reprendre des fonctions qu'il avait, selon lui, « cessé provisoirement d'exercer … dans l'intérêt supérieur du mouvement », et « à la suite de son désaccord avec certaines décisions du groupe parlementaire ».Il accusait le président du mouvement de ne pas avoir réuni le Comité de Coordination, malgré des demandes répétées :

« Tu as institué avec quelques camarades une direction dénuée de toute démocratie et dont les lourdes conséquences risquent de devenir catastrophiques » 32.

Devant la fin de non-recevoir réservée à cette démarche insolite, Gabriel d' Arboussier adressa à Houphouët-Boigny une longue lettre ouverte, publiée dans le numéro du 6 juillet 1952 de “L'A.O.F.”, organe du parti socialiste. Après avoir réaffirmé qu'il n'avait donné qu'une démission fictive pour des raisons tactiques, l'ex-secrétaire général faisait au fondateur du R.D.A. deux reproches de fond :

Et selon Gabriel d'Arboussier, les deux objectifs visés n'avaient pas été atteints :

Et la lettre se terminait par une menace :

« Avec toi ou sans toi … , le R.D.A. vivra, se développera, atteindra le but qu'il s'est assigné : l'émancipation de l'Afrique noire ».

La première réaction vint du groupe parlementaire R.D.A. Dans un communiqué du 12 juillet 1952 33, il annonçait l'exclusion définitive de Gabriel d'Arboussier du groupe parlementaire, « en raison de ses activités subversives depuis plusieurs mois, malgré nos observations répétées ». Ces “activités subversives” étaient une indiscipline permanente et une candidature non autorisée aux élections sénatoriales du Sénégal.
L'intéressé répliqua aussitôt en adressant le 16 juillet une lettre à BeuveMéry, directeur du “Monde”. Pour lui, seul un congrès ou le Comité de Coordination pourrait l'exclure du Mouvement. La mesure prise à son encontre était nulle, lui-même et plusieurs membres du groupe parlementaire étaient alors absents.
S'il avait été seul en cause, Félix Houphouët-Boigny aurait gardé le silence. Mais il fallait éclairer les militants, décontenancés et ébranlés par certaines affirmations. C'est pourquoi, dans les colonnes d'“Afrique noire”, le nouvel hebdomadaire du R.D.A., lancé par Etcheverry pour remplacer “Réveil”, le président du Mouvement répondit longuement à

« Gabriel d'Arboussier, tour à tour séduisant, intrigant, médisant, repentant, fanfaron, servile, hâbleur, … bourgeois raffiné, amoureux de luxe et d'opulence, qui se veut prolétaire, … et qui a voulu se servir du R.D.A. à des fins strictement personnelles ».

Le ton était particulièrement cinglant lorsque le chef traditionnel baoulé s'en prenait au “mulâtre” du Soudan, jawanɗo (sous-caste de griots peul) par sa mère : « Né de mère soudanaise, mais élevé en France, vous ignorez l'Afrique ».

Après avoir fait un récit des événements, le président du R.D.A. rappelait que, sans son intervention personnelle, Gabriel d'Arboussier aurait été expulsé du mouvement beaucoup plus tôt :

« Vous avez préparé tout seul le Congrès d'Abidjan (en janvier 1949) … Vous avez écarté de la préparation technique de ce Congrès les plus authentiques représentants des masses et ensuite vous les avez éloignés de la direction du mouvement… Le R.D.A., à Abidjan, s'est écarté de Bamako. Notre devoir, instruits par les événements, était de revenir à Bamako qui consacre l'union, alors qu'Abidjan annonçait prématurément la lutte des classes en Afrique » 34.

Le courant représenté par G. d'Arboussier ne manquait cependant pas de partisans. En Côte d'Ivoire même, certains dirigeants, et notamment ceux qui avaient été emprisonnés à la suite des événements de février 1949 à Treichville, manifestaient de la répugnance à collaborer avec l'administration. Ce n'est qu'en août 1952 qu'Houphouët-Boigny réussit à convaincre tous les secrétaires des sous-sections. Jean-Baptiste Mockey et six de ses amis publièrent une protestation de fidélité au Parti et à son Président 35. Le même jour, Mockey répondait à un lettre de G. d'Arboussier : « Il n'existe entre nous aucun pacte politique … Je me refuse à m'associer toute politique, qui, ne tenant pas compte des réalités locales, serait contraire aux intérêts des populations de mon pays » 36.

Au Niger, le secrétaire général du P.P.N., section locale du R.D.A., faisait sécession : dès 1951, Bakary Djibo fondait l'Union Démocratique Nigérienne (U.D.N.).
Au Sénégal, l'Union Démocratique Sénégalaise était sous l'influence de G. d'Arboussier qui résidait habituellement à Dakar. Son principal dirigeant, le Dr Doudou Guèye, était encore en prison, les autres responsables, Abdoulaye Guèye, Latyr Camara, Thierno Bâ, refusèrent le désapparentement. A sa libération, Doudou Guèye fonda le Mouvement Populaire Sénégalais, section orthodoxe du R.D.A.

Cependant le 14 mars 1954, le bureau de l'U.D.S. avait adressé à Léopold Sédar Senghor une lettre lui proposant l'unité d'action entre le B.D.S. et l'U.D.S. Le président du B.D.S. refusa de limiter le problème aux frontières du Sénégal :

« Pour vouloir réellement l'unité d'action, pour la faire efficace, il convient de l'organiser sur le plan de l'Afrique noire, sinon de tous les T.O.M., de convoquer un grand Congrès dans le genre de celui de Bamako ou de BoboDioulasso, qui réunira tous les élus et partis de 1 'Afrique noire française. L'U.D.S. peut être sûre que le B.D.S. et le mouvement des I.O.M. seront présents au rassemblement.
… Pour que réussisse un pareil Congrès, il est essentiel que tous les Africains qui y participeront, pensent, parlent et agissent en Africains, qu'ils y défendent, non les intérêts de tel parti métropolitain, mais de leur mandants, c'est-à-dire en définitive de l'Afrique noire française. On sait que, si le Congrès de Bamako n'a pas atteint son but, ni même les objectifs qu'il s'était fixés, c'est parce que trop d'Africains, y compris moi-même, avaient obéi aveuglément en l'occurrence à des ordres venus de la Métropole » 37.

En Guinée, Sékou Touré, à la fois secrétaire général de la C.G.T. et secrétaire général du Parti Démocratique de Guinée (P.D.G.), section locale du R.D.A., avait été élu conseiller général de Beyla le 2 août 1953. Cette élection, acquise de justesse, fut le point de départ de l'expansion du R.D.A. dans le territoire.

Un an plus tard, la campagne électorale autour du siège de député de Yacine Diallo, décédé, donna l'occasion à Sékou Touré d'organiser son parti. S'il fut battu le 27 juin 1954, il se sentait assez fort pour lancer un mouvement général d'agitation, dirigé, non contre l'administration directement, mais contre les partisans de son adversaire heureux, Diawadou Barry.

De juillet 1954 à février 1955, on comptera 35 incidents graves, qui feront deux morts, plus de cent blessés, et entraîneront des centaines d'arrestations. Les journées du 31 janvier et du 1er février 1955 furent particulièrement tragiques à Conakry (un mort, des dizaines de blessés). Une femme, Mballia Camara, décédée à la suite des événements de Tond on le 9 février, devint le symbole de la résistance à la répression coloniale.
En février 1955, le gouverneur Parisot résumait ainsi la situation :

« En Basse-Côte, le pays soussou a traduit l'action du R.D.A. comme l'avènement de “l'ère de liberté”, comportant l'affranchissement de toutes sujétions, de toutes contraintes et même de toutes règles en dehors des volontés et du contrôle du Parti ».

Cette emprise était moins profonde en Haute-Guinée et en Guinée forestière, hors des centres.
Le Fouta était encore plus imperméable :

« La chefferie, qui est pourtant de loin la plus rapace et la plus dure dans ses rapports avec le petit peuple, a encore le pays en main »et pourrait balayer le R.D.A.

Et le chef du territoire concluait :

« La situation est grave, car le R.D.A. ne paraît plus maître de ses troupes, et, par suite, la possibilité d'une réaction violente des éléments traditionnels, foulah surtout, ne peut être exclue » 38.

Le Comité de Coordination dépêcha Ouezzin Coulibaly, qui publia le 12 février, au nom de la direction du R.D.A., des instructions très claires et très fermes qui peuvent se résumer ainsi :

La situation redevint normale à Conakry, suffisamment pour que s'y tienne, du 8 au 10 juillet 1955, la réunion du Comité de Coordination, “la première assise régulière depuis 1949”, comme le rappelait Houphouët-Boigny lui-même, au début de son rapport moral.
Le Comité de Coordination se composait alors de :

A ces membres de droit, étaient venus se joindre des délégués :

Dans son discours inaugural, le 8 juillet, Sékou Touré affirma que le P .D.G. était en complet accord avec les directives du groupe parlementaire et qu'il avait complètement coupé les ponts avec le parti communiste.
Le moment le plus important fut évidemment le rapport moral et d'orientation de Félix Houphouët-Boigny. Celui-ci retraça les principales étapes de la vie du Mouvement :

« Nous ne sommes pas aujourd'hui plus gênés d'avoir été les alliés des communistes que ne l'étaient naguère socialistes et M.R.P …. Mais le prétexte communiste recouvrait tout : la peur, la haine, l'ambition, l'égoïsme, la lâcheté, l'aveuglement. Une répression généralisée s'abattit sur le Mouvement… L'apparentement communiste avait fourni le prétexte, c'est par là que devait commencer l'oeuvre de redressement… L'intérêt, la survie du Mouvement exigeait que les élus R.D.A. rompissent l'apparentement avec le groupe parlementaire communiste… Il nous a fallu trouver de nouveaux alliés. Nous avons cru un moment que l'effort tenté par l'appel de 1946 pouvait aboutir en 1950 par une entente avec les I.O.M. Mais ce groupe comptait trop de transfuges du R.D.A. pour que les négociations aboutissent. Ce fut encore une occasion perdue … Toutefois les contacts que nous avons multipliés avec de nombreux milieux métropolitains depuis 1950, préparèrent une heureuse rencontre politique entre les amis de MM.Pleven et Mitterrand et les élus du R.D.A. Nous disons ici solennellement que la compréhension de l'U.D.S.R., le sens politique dont elle a fait preuve, la confiance qu'elle nous a témoignée ont décidé du cours des événements en Afrique noire française ».

Le président du Mouvement reconnut qu'il avait fallu du temps pour vaincre la méfiance avec laquelle les milieux politiques, administratifs, coloniaux avaient accueilli le changement de méthode du R.D.A. Mais « des bonnes volontés intelligentes et actives ont engagé depuis plusieurs mois un dialogue constructif avec le R.D.A. ».
Le Mouvement restait fidèle au but défini à Bamako :

« Création d'un mouvement de masse très large, qui soit à la fois l'expression de la masse et la masse elle-même, et non d'un Parti politique d'avant-garde, unissant toutes les couches sociales pour oeuvrer à l'émancipation des territoires africains dans le cadre de l'U.F., par l'affirmation de leur personnalité politique, économique, sociale et culturelle ».

Le cadre constitutionnel est un instrument valable, mais « au-delà des textes, et pour que les textes correspondent à une vérité historique, il faut que l'Africain soit chaque jour mieux nourri, mieux logé, mieux vêtu. Il faut que son avenir intellectuel soit préparé par l'expansion continue de la culture à l'échelle des masses. II faut qu'à la promotion juridique corresponde réellement une montée économique et sociale ».

Le Comité de Coordination décida d'exclure du Mouvement l'Union Démocratique Sénégalaise et l'Union des Populations du Cameroun, les deux sections dissidentes, et de ne reconnaître au Niger que le Parti Progressiste Nigérien, à l'exclusion de l'Union Démocratique Nigérienne, de Bakary Djibo. Doudou Guèye fut chargé de créer au Sénégal une section orthodoxe : ce sera le Mouvement Populaire Sénégalais.
La motion finale de la réunion du Comité de Coordination réaffirma “l'adhésion du R.D.A. à la formule de l'Union française”, tout en mettant les militants en garde contre “les entreprises du colonialisme dont la volonté demeure”. Elle se prononçait « pour une orientation fédérale en ce qui concerne l'Afrique noire, … pour le collège unique et le suffrage universel » 39.

De Conakry même, les exclus, Bakary Djibo (U.D.N.), Malick Gaye (U.D.S.), auxquels se joignit Mamadou Fadiala Keïta, ancien secrétaire de l'Union Soudanaise, lancèrent un “Manifeste pour un véritable Rassemblement Démocratique Africain”, appelant les militants à « résister aux tentatives d'étouffement du R.D.A. par quelques personnes acquises plus ou moins consciemment au colonialisme » 40.

Le jour même où s'ouvrait la réunion du Comité de Coordination, les statuts d'un nouveau parti étaient déposés auprès du gouvernement du Dahomey 41 : l'Union Démocratique Dahoméenne (U.D.D.) était créée par Bonaventure Djivoesse, militant R.D.A. rentrant d'Abidjan. Autour de lui se regroupèrent des hommes opposés au P.R.D. d'Apithy et qui avaient pour organe de presse “Aziza” : Justin Ahomadegbé, Bruno Megnassan, Hessou, Nicoué, Théophile de Campos, Akindélé, Emile D.Zinsou. A Dakar, Alexandre Adandé 42 créa aussitôt une section de l'U.D.D. Ce n'est que le 4 février 1956 que l'U.D.D. devint officiellement section du R.D.A. 43.

2. Les I.O.M. : les “audacieux ”

Contrairement au R.D.A. qui se voulait un mouvement de masse, les Indépendants d'Outre-mer étaient avant tout un groupe parlementaire, qui était sorti renforcé des élections législatives de juin 1951. A l'Assemblée nationale, il comptait 13 députés, dont Senghor et Guèye (Sénégal), Conombo, Guissou, Ouedraogo et Nazi Boni (Haute-Volta), Mamba Sano (Guinée), Zodi Ikhia (Niger) et Maga (Dahomey).

Après le renouvellement de mai 1952, le Sénat comptait 10 sénateurs I.O.M., dont :

Enfin, après le renouvellement de novembre 1953, il y avait à l'Assemblée de l'U.F., 11 conseillers I.O.M., dont Guillabert et Sarr (Sénégal), Montrat (Guinée), Bouda et Bandaogo (Haute-Volta), Deroux et Hazoumé (Dahomey).
Par contre, seuls le Bloc Démocratique Sénégalais et l'Union Voltaïque constituaient des partis territoriaux rattachés aux I.O.M. A la fin de 1954, l'Union Voltaïque se transforma en Parti Social d'Emancipation des Masses Africaines (P.S.E.M.A.), implanté dans l'Est du territoire et dirrigé par Guissou et Joseph Conombo. Au même moment, un autre I.O.M. Voltaïque, Nazi Boni, créait, dans l'Ouest du pays, le Mouvement Populaire d'Evolution Africaine (M.P.E.A.), fondé le 27 octobre 1954.
Mouvement de cadres, les I.O.M. se manifestaient surtout par des programmes, publiés périodiquement par le groupe parlementaire.
Dès le début de la seconde législature, en juillet 1951, les I.O.M. firent savoir que, s'ils ne se désintéressaient pas des problèmes métropolitains, ils se considéraient comme les plus qualifiés pour traiter les problèmes spécifiques d'Outre-mer. Ils estimaient que, « faute de pourvoir sans délai et largement au développement économique et social des T.O.M., la France risque de laisser passer irrémédiablement l'heure de l'Afrique et de Madagascar ».
Ils s'opposaient à une intégration des T.O.M. au Marché Commun Européen qui se paierait par une stagnation économique et industrielle de l'Afrique. Ils demandaient à être consultés et à participer aux avantages de la Communauté Economique Européenne. Mais ils souhaitaient que, d'abord, « la France prenne sa place dans l'U.F. en acceptant les solidarités et une communauté économique totale ».
Conduire les peuples d'O.M. à gérer démocratiquement leurs affaires, comme l'avait voulu la Conférence de Brazzaville, exigeait une reconnaissance des droits et libertés et la mise en place d'une organisation économique, sociale et administrative, faite pour ces peuples et par eux.
Les I.O.M. demandaient que l'on donne la priorité aux réalisations économiques et sociales plutôt qu'aux préoccupations politiques et que l'on prenne les moyens de mettre fin définitivement au pacte colonial et d'empêcher la naissance d'un néo-colonialisme.
Ils souhaitaient la restauration de la personnalité des territoires par une déconcentration des pouvoirs, une décentralisation administrative et une accession plus large des Africains aux postes de responsabilité. Ils demandaient enfin une révision du Titre VIII de la Constitution dans le sens d'une plus grande efficacité des institutions et d'une évolution vers le fédéralisme.
Indépendants de tout parti métropolitain, ils se donnaient un bureau :

Les idées contenues dans le programme de juillet 1951 furent plus largement développées à l'occasion du Congrès que les I.O.M. convoquèrent à Bobo-Dioulasso du 12 au 15 février 1953. La plupart des parlementaires du groupe étaient présents, ainsi que quelques centaines de délégués venus surtout de Haute-Volta et du Sénégal.
L'objectif principal du Congrès était la création d'un Mouvement, dont l'objet essentiel était « d'harmoniser les efforts de tous ceux qui, dans le cadre de l'U.F., travaillent à la libération de l'homme et des collectivités selon les principes énoncés dans la Charte de San Francisco, confirmés par la Constitution du 27 octobre 1946 » (art. 2 des statuts).
Mamadou Dia fut élu secrétaire général, avec Polycarpe et Aubame pour adjoints ; Conombo était secrétaire administratif, Grunitzky et N'Gomou trésoriers.
Au lendemain du Congrès, Léopold Sédar Senghor en avait dit qu'il avait été le “rendez-vous des audacieux”, parce qu'il avait défini un programme précis d'évolution pour l'Afrique noire française, en montrant d'abord l'objectif final, « la République fédérale 'une et divisible', seule moyen d'intégrer, d'une façon vivante et définitive, les T.O.M. dans la République française, partant dans la communauté politique européenne ».
Cette République fédérale ne serait réalisée que dans 10, 20 ou 30 ans. Mais il fallait y acheminer les T.O.M. en élargissant les pouvoirs des Assemblées territoriales, en plaçant à côté du gouverneur un Conseil exécutif pour moitié élu, collectivement responsable devant l'Assemblée, en appliquant un programme de développement économique et social : protection des produits de base grâce à la création de caisses de soutien, création d'industries de transformation, application loyale du statut des fonctionnaires et du code du travail, multiplication des cours normaux pour une scolarisation totale en 15 ans 44.
Le programme d'action pour 1954 reprenait les grands thèmes développés à Bobo-Dioulasso. Mais le 1er février 1954, les I.O.M. publiaient un communiqué dénonçant

« la volonté du gouvernement de ressusciter le pacte colonial… (Ils) trouvaient inadmissible que le gouvernement fixe par des mesures autoritaires les prix de certains produits ultramarins au-dessous des cours mondiaux comme il l'a fait en 1951 pour les arachides, tandis qu'il maintient les prix de certains produits métropolitains comme le blé, le sucre, 80 et 100 % au-dessus des mêmes cours ».

Et le communiqué s'achevait sur une menace de rejoindre l'opposition :

« Le Groupe interparlementaire des I.O.M. se déclare prêt à se ranger aux côtés de tous les partis, groupes et parlementaires, qui, comme lui, sont décidés à intensifier la lutte contre le grand capitalisme et pour l'édification d'une véritable U .F. fondée sur l'égalité des droits et des devoirs » 45.

Fut-ce le résultat de cette menace ? Lorsque Pierre Mendès France forma son gouvernement en juin 1954, il confia le ministère de la Santé publique et de la Population à un I.O.M., le Dr Aujoulat. Lors du remaniement ministériel du 30 août, Aujoulat prenait le portefeuille du Travail et Joseph Conombo devenait secrétaire d'Etat à l'Intérieur. En mars 1955, ce fut le président du groupe, Léopold Sédar Senghor qui entra dans le gouvernement Edgar Faure, comme secrétaire d'Etat à la Présidence du Conseil, spécialement chargé de suivre le problème de la réforme constitutionnelle.
Le Dr Zinsou, sénateur du Dahomey, fut élu le 11 juillet 1955 à la présidence du Groupe interparlementaire. Son premier acte fut de lancer un appel discret, mais sans équivoque, aux élus du R.D.A. :

« Ma conviction la plus intime est que la cohésion et la collaboration de tous les élus d'O.M. est plus que jamais nécessaire pour faire aboutir le programme minimum qui exprime leurs communes préoccupations, et je n'en veux pour témoignage que les conclusions des assises du Comité de Coordination du R.D.A., qui viennent de se tenir à Conakry et qui prouvent, s'il en était besoin, combien tous les élus d'O.M., conscients de leurs responsabilités et de leurs devoirs, poursuivent la réalisation de buts identiques. Je sais — en tous cas, je ferai dans ce sens tout ce qui est en mon pouvoir — que cet accord sur le programme et les buts sera bientôt suivi d'une collaboration confiante et amicale des hommes » 46.

3. La S.F.I.O. : les “petits bourgeois”

Le temps était déjà loin où tous les élus d' A.O.F. se rangeaient docilement sous la houlette du “doyen” Lamine Guèye. Dans leurs deux fiefs, les socialistes avaient été bousculés ou se trouvaient sur le point de l'être. Au Sénégal, la S.F.I.O. n'avait conservé que deux bastions : Dakar et Saint-Louis, et cherchait à s'y maintenir, au besoin grâce aux violences des “bérets rouges” (trois morts en mars 1952). Les élections municipales furent presque toutes entachées d'irrégularités. En janvier 1955, les principaux dirigeants socialistes furent attaqués en Casamance : seul Lamine Guèye fut légèrement blessé d'un coup de feu. Mais il y eut quatre morts et cinquante blessés parmi les militants. Le 8 mars 1955, Senghor et Lamine Guèye conclurent une trève entre leurs partis respectifs.
Au Soudan, la sécession de Tidiani Traoré, l'absence prolongée de Fily Dabo Sissoko et de Silvandre avaient affaibli le P.S.P. Seul le jeune député Hammadoun Dicko faisait preuve de beaucoup de dynanisme, notamment parmi ses collègues enseignants.

***

Le R.D.A., majoritaire en Côte d'Ivoire, affermissait ses bases en Guinée et au Soudan. Les I.O.M. n'étaient en force qu'au Sénégal. Dans les autres territoires, le jeu compliqué des partis suivait des règles complexes où les rivalités ethniques et les manoeuvres administratives tenaient une grande place. On était loin de l'unité recherchée en 1946 à Bamako.

Notes
1. Bernard Cornut-Gentille. Les problèmes politiques de l'A.O.F., rapport sans date (probablement 1954, p.4.
2. Ruth Schachter Morgenthau. Political Parties en French speaking West Africa, Clarendon Press, Oxford University Press, 1964, p. 402.
3. Cornut-Gentille, op.cit., p. 8.
4. Op.cit., p. 10.
5. Op .cit., p. 28.
6. Op. cit., p. 36.
7. Discours de Louis Jacquinot devant le Grand Conseil de l'A.O.F. le 2 mars 1954.
8. Afrique Nouvelle, n° 406, 17 mai 1955.
Id., n° 423 , 13 septembre 1955.
10. Lettre n° 101/DGP/1 du 7 décembre 1954 du Haut-Commissaire à tous les Chefs des territoires du groupe.
11. Cornut-Gentille, op.cit., p. 35.
12. Id., n° 37.
13. Discours du Haut-Commissaire Cornut-Gentille au Grand Conseil de l'A.O.F. le 20 octobre 1952.
14. Bulletin du Grand Conseil de l'A.O.F., n° 14, 2e session ordinaire de 1952, p. 587.
15. Discours du Haut-Commissaire Cornut-Gentille au Grand Conseil de l' A.O.F., le 21 mai 1954.
16. Circulaire n° 625/INT/PER du 5 septembre 1951 du Gouverneur général aux Chefs de territoire.
17. Bulletin du Grand Conseil de l'A.O.F., n° 12, 2e session ordinaire de 1951, séance du 6 novembre 1951.
18. Intervention du P. Jacques Bertho, Grand Conseiller du Dahomey, in Bulletin du Grand Conseil de l'A.O .F., n° 14, 2e session ordinaire de 1952, p. 151.
19. Cornut-Gentille, op.cit., p. 31.
20. Discours du Haut-Commissaire Cornut-Gentille au Grand Conseil de l'A.O.F., le 13 octobre 1954.
21. Id., le 26 avril 1955.
22. Afrique Nouvelle, n° 416, 26 juillet 1955.
23. Joseph-Roger de Benoist: La balkanisation de l'A.O.F., Dakar, Abidjan, Nouvelles Editions Africaines, 1979, pp. 117 ss.
24. Bulletin de l'Association pour l'Etude des Problèmes de l'U.F. n° 81 , octobre 1954, pp.27 ss.
25. Marchés Coloniaux, 1er novembre 1945.
26. Politique Etrangère, octobre 1954, p. 424.
27. Marchés Coloniaux, 10 septembre 1955.
28. J.R. de Benoist, op.cit., pp.135 ss.
29. Le 6 octobre 1951 au Stade Géo André d'Abidjan.
30. J.O.R.F., Débats parlementaires, Assemblée nationale, séance du 8 août 1951.
31. Déclaration de Sékou Touré, d'après le Bulletin d'Information des Services de police de Côte d'Ivoire, n° 5768/ 818 PS/ BM/ C (7-18 novembre 1951.
32. Lettre du 25 avril 1952 de G. d'Arboussier à F. Houphouët-Boigny.
33. Le Monde, 15 juillet 1952.
34. Afrique Noire, 26 juillet 1952.
35. Id., 21 août 1952.
36. Lettre du 21 août 1952 de J.B. Mockey à G. d'Arboussier.
37. Condition Humaine, n° 139, 10 septembre 1954.
38. Rapport n° 79/ Cab. du 12 février 1955 du gouverneur Parisot.
39. Afrique Noire, n° spécial sur les travaux de la 2e session du Comité de Coordination du R.D.A., Conakry, 8-11 juillet 1955.
40. L'Humanité, 27 juillet 1955.
41. J.O. Dahomey, n° 31, Jer septembre 1955.
42. Né à Porto-Novo le 12, mars 1913, diplômé de l'Ecole Normale William-Ponty, études de museographie à l'Institut d'Ethnologte de l'Université de Paris, premier fonctionnaire africain affecte à l'I.F.A.N. en 1936, chargé du département d'ethnographie.
43. Maurice Glélé. La naissance d'un Etat noir, Paris , Librairie générale de Droit et de Jurisprudence, 1969, pp.133 ss.
44. Afrique Nouvelle, n° 291, 4 mars 1953.
45. Id., n° 340, 10 février 1954.
46. Id., n° 415, 19 juillet 1955.

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