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Joseph-Roger de Benoist
L'Afrique occidentale française
de la Conférence de Brazzaville (1944) à l'indépendance (1960)

Dakar. Nouvelles Editions africaines. 1982. 617 pages


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Introduction

« Quoique vous fassiez, votre travail sera déficient … Vous ne disposez pas des archives officielles ; rares sont les acteurs de cette histoire qui ont écrit pour expliciter leurs intentions. Néanmoins, nous attendons avec intérêt cette synthèse : elle devait nous permettre de rectifier les interprétations erronées et inciter les témoins encore vivants à réagir en apportant leur contribution aux recherches sur cette période capitale de notre histoire ».

Cette réflexion du Docteur Doudou Guèye, secrétaire général de la Fondation Houphouët-Boigny, marque les limites et les ambitions de ce travail.
Ces limites sont d'abord celles que nous nous sommes fixées.
Géographiquement, notre étude concerne les huit territoires qui formèrent de 1895 à 1959 l'Afrique Occidentale Française, à l'exclusion du Togo. Le décret du 19 septembre 1936 avait donné au Gouverneur général du groupe un droit de regard sur ce dernier territoire. Dix ans plus tard, le 3 janvier 1946, un autre décret soustrayait le Togo, devenu territoire sous tutelle, à l'autorité de Dakar. Désormais son évolution n'intéressera plus l' A.O.F. que dans la mesure où ses institutions serviront de banc d'essai et inspireront le régime de la loi-cadre.
Dans le temps, le point de départ de notre travail n'a pas été exactement la fin de la deuxième guerre mondiale, mais la Conférence Africaine Française de Brazzaville (février 1944), dont les recommandations — même si elles n'ont pas été toutes appliquées — ont amorcé l'évolution qui conduisit les anciennes colonies françaises à l'indépendance. Cette accession à la souveraineté internationale se réalisa en 1958 pour la Guinée et en 1960 pour les sept autres pays. Ces dates constituent le point d'arrivée de notre étude.
Nous nous sommes attaché à suivre l'évolution de la fédération d'A.O.F., prise comme un tout, en n'entrant dans le détail des événements au niveau des territoires que dans la mesure où ces péripéties locales avaient des répercussions sur la vie de l'ensemble.
En plus de ces limites librement tracées, d'autres se sont imposées, principalement en ce qui concerne les sources de cette histoire.
Les Archives de la France d'Outre-mer et celles de plusieurs Etats africains, en particulier celles du Sénégal, héritières des Archives de l'A.O.F., sont encore fermées aux chercheurs pour cette période trop récente. Et nous devons rendre hommage à la conscience professionnelle de certains Conservateurs, même si elle s'est exercée à nos dépens : les interventions du plus haut personnage de l'Etat n'ont pas eu raison de leur intransigeance.
Les documents dont nous avons pu disposer venaient donc d'archives personnelles que certains amis, journalistes, hauts fonctionnaires et hommes politiques, ont bien voulu nous ouvrir.
Nous avons eu la chance de pouvoir rencontrer la plupart des personnalités françaises ou africaines, qui ont joué un rôle pendant cette période cruciale de l'histoire de l'A.O.F. Leur accueil inspiré souvent par une amitie déjà ancienne, a toujours été très chaleureux et leur témoignage éclairant.
Notre source principale a néanmoins été la presse : publications spécialisées qui, à l'époque, étaient pratiquement toutes éditées dans ce qui était alors la Métropole, et journaux locaux. On ne s'étonnera pas que, parmi ces derniers, nous ayons dépouillé avec une attention particulière la collection de l'hebdomadaire « Afrique Nouvelle » ; ce périodique, publié à Dakar, fut le seul à « couvrir » depuis juin 1947 tous les événements de l'A.O.F. Et nous sommes bien placé pour savoir que les dirigeants africains, quelles que soient leur idéologie et leur orientation politique, l'avaient alors choisi comme tribune.
Malgré toutes ces limites, librement fixées ou imposées, le sujet était vaste. Nous avons cependant essayé d'en faire la synthèse qu'attendaient nos amis. Cela signifie qu'au-delà d'une simple narration chronologique des événements, nous avons tenté de rapprocher les faits pour en donner une certaine interprétation. Celle-ci est subjective parce que — dans une large mesure — extérieure. Elle provoquera, nous le souhaitons, les réactions des acteurs de cette histoire. Beaucoup sont encore vivants : leur témoignage sera capital pour un approfondissement et une meilleure compréhension des faits.
L'ambition même que nous avions d'esquisser une synthèse nous a obligé à distinguer des étapes dans cette marche à l'indépendance. Il nous est apparu que, de 1946 à 1958, les trois législatures de la IVe République constituaient les trois premiers actes de cette histoire, dont le dénouement se joua pendant que naissait la Ve République française.
Le texte élaboré à la première Constituante reflétait l'esprit de renouveau qui animait les hommes sortis de la tourmente de la deuxième guerre mondiale. La réaction coloniale fit avorter cette Constitution et lui substitua un document de compromis. Mais les premiers élus africains avaient compris tout le parti qu'ils pouvaient tirer des tendances assimilationnistes de la Constitution. Les batailles qu'ils livrèrent pour la conquête des droits et libertés leur permit de disposer, à la fin de la première législature, des moyens de rendre efficace leur revendication de dignité et d'autonomie. Le troisième congrès interterritorial du Rassemblement Démocratique Africain (Bamako, septembre 1957) ne s'y trompait pas, qui saluait « les grandes victoires qui jalonnent depuis onze ans la route menant à l'émancipation politique, économique, sociale et culturelle des populations d'Afrique noire … Le congrès considère que la participation des élus d'Afrique noire aux organes souverains de la République française a été un facteur déterminant de ces conquêtes ».
Cette volonté de se dégager de la condition de colonisé s'exprima avec de plus en plus de force pendant la deuxième législature. L'indifférence métropolitaine pour les problèmes d'Outre-mer, la stérilité d'un Parlement incapable de voter les réformes indispensables, l'instabilité de gouvernements empêtrés dans des guerres coloniales en Indochine et en Afrique du Nord, laissèrent aux dirigeants africains, rodés au fonctionnement d'institutions déjà dépassées, le loisir de préciser leurs aspirations et de les exprimer de façon de plus en plus insistante.
Lorsque le gouvernement se résolut à violenter les élus de la troisième législature pour leur arracher les moyens de réaliser par décrets l'évolution tant attendue, il était déjà trop tard. Les pouvoirs accordés par la loi-cadre étaient trop limités pour des responsables africains qui avaient déjà d'autres ambitions. Les décrets d'application furent en fait « le seuil irréversible de l'indépendance » (Robert Delavignette). Le bilan de cette expérience est certes positif : elle permit aux dirigeants africains, en plus grand nombre, de faire l'apprentissage du pouvoir, non plus seulement à travers des débats parlementaires, mais sur le terrain, au contact des réalités et des responsabilités immédiates. Une nouvelle génération de cadres rejoignit ainsi le petit peloton, forcément limité, des parlementaires, et accéda à la direction des affaires publiques. Mais le bilan négatif fut lourd : la loi-cadre consacra la « balkanisation » de l'A.O.F.
La Constitution de la Ve République, par ses contradictions mêmes, portait les germes de l'indépendance. Plus préoccupé de rendre à la France la grandeur et la puissance nécessaires pour qu'elle joue, dans l'Europe regroupée, un rôle digne de son histoire, le général de Gaulle ne fit rien pour retenir dans le giron de la Communauté, même rénovée, des partenaires déjà emportés par de multiples forces centrifuges.
Si nous avons pu mener à terme cet essai de compréhension, nous le devons à la direction attentive de Monsieur le Professeur Henri Brunschwig. Nous le remercions de façon toute particulière : il a su comprendre et préciser les objectifs d'un étudiant venu tardivement aux recherches universitaires. La rédaction définitive de ce travail a bénéficié également des critiques et des conseils du Professeur Yves Person, qui, assisté du Professeur Gilles Sautter, a bien voulu présider notre jury de thèse.
Notre gratitude va également à tous ceux qui, en France et en Afrique, nous ont largement ouvert leurs archives et leurs souvenirs. Il ne nous est pas possible de les citer tous, mais nous voulons nommer ceux dont l'apport nous a été le plus précieux : le Haut Commissaire Gaston Cusin, le gouverneur Casimir Biros, l'inspecteur général Jean Debay, le président Emile D. Zinsou, le ministre Alexandre S. Adandé, notre confrère et ami André Blanchet, et le docteur Doudou Guèye, dont l'amitié exigeante fut un stimulant de tous les instants. Nous nommerons aussi le président Gabriel d'Arboussier et le gouverneur Albert Mouragues, tous deux trop tôt disparus.
Le Président Léopold Sédar Senghor a suivi depuis l'origine et encouragé par tous les moyens l'élaboration de ce travail. Nous le remercions respectueusement de son aide inappréciable.
Nous avons trouvé une collaboration précieuse auprès des Conservateurs des Archives de la France d'Outre-mer, du Sénégal et de la Côte d'Ivoire, Mademoiselle Marie-Antoinette Ménier, Messieurs Sali ou Mbaye et Guy Kanga, mais aussi auprès des Archivistes de la Haute-Volta, du Mali et du Niger.
L'Organisation Stichting Benevolentia d'Amsterdam nous a apporté un soutien dont nous lui sommes profondément reconnaissant. Sans l'aide de la Fondation Léopold Sédar Senghor et du Président Amadou Cissé Dia, ce livre n'aurait pas pu être publié.
Monsieur Amadou-Mahtar Mbow a bien voulu présenter cette très modeste contribution à l'oeuvre qu'il a commencé à réaliser avant même d'être Directeur général de l'UNESCO. Nous lui sommes reconnaissant de ce geste qui s'adresse sans doute autant à l'ami qu'à l'historien.
Nous considérons ce travail comme une ébauche et plus encore un appel. Nous serions récompensé de nos efforts si de nombreux chercheurs et étudiants se servaient de ce livre comme point de départ pour l'étude approfondie des différentes phases de cette période si importante de l'histoire de l'Ouest Africain. Nous le serions encore plus si les acteurs et les témoins de cette histoire acceptaient de réagir devant les erreurs et les imprécisions de cet essai.
Les Archives, qui seront un jour ouvertes à la recherche historique, recèlent presqu'uniquement des documents émanant des anciens colonisateurs. Si les anciens colonisés acceptent, pendant qu'il est encore temps, d'enrichir de leurs témoignages et de documents inédits le fonds dont disposeront les historiens de demain, notre travail aura trouvé sa justification. D'avance nous remercions tous ceux qui apporteront leur pierre à l'édification d'une histoire dont cet ouvrage n'est que l'échafaudage, en nous écrivant :

Joseph-Roger de Benoist
Département d'Histoire
Institut Fondamental d'Afrique Noire
B.P. 206, Dakar, Sénégal


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