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Joseph-Roger de Benoist
L'Afrique occidentale française
de la Conférence de Brazzaville (1944) à l'indépendance (1960)

Dakar. Nouvelles Editions africaines. 1982. 617 pages


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Première Partie
L'équivoque féconde de l'Assimilation (1944-1951)

Chapitre IV.
Les élus dans les assemblées métropolitaines

A. Une représentation africaine minimisée

Nombre restreint de représentants, corps électoral limité, double collège : toutes ces mesures avaient partiellement vidé de leur substance les recommandations de la Conférence de Brazzaville relatives à la représentation des territoires africains dans les Assemblées métropolitaines. Pendant toute la législature, les élus africains vont s'efforcer d'élargir cette représentation.

1. Critères de l'électorat et double collège 1

L'acquisition de la citoyenneté (art. 80 de la Constitution) aurait dû entraîner pour tous les ex-ressortissants l'exercice du droit d'électeur. Mais le même article 80 prévoyait que « des lois particulières établiront les conditions dans lesquelles ils exerceront leurs droits de citoyens ». Le droit électoral supposait que l'on puisse individualiser les électeurs (critère technique), ce qui posait des problèmes dans des territoires où l'état-civil n'était pas encore généralisé. Il fallait aussi que les électeurs aient l'instruction et la formation civique suffisantes pour exercer valablement leur droit (critère politique).
Une distinction fut d'abord faite entre les citoyens de statut civil (citoyens français métropolitains, Africains originaires des quatre communes du Sénégal ou ayant déjà acquis la citoyenneté) et les citoyens de statut personnel. Les premiers étaient électeurs de plein droit. Les seconds devaient remplir certaines conditions pour être inscrits sur les listes électorales. Cette distinction était à la base du double collège, chaque groupe élisant séparément ses représentants. Les partisans du collège unique appuyaient leur revendication sur l'égalité de tous les citoyens proclamée par la Constitution et sur les fâcheuses conséquences psychologiques qu'aurait le maintien de cette forme de discrimination qu'est le double collège. Ils affirmaient que les Africains seraient assez loyaux et sages pour conserver une représentation aux Français métropolitains, même minoritaires, vivant dans leurs territoires.
Les défenseurs du double collège soutenaient que la loi du nombre n'est pas toujours réaliste et qu'en l'occurrence, les métropolitains, peu nombreux mais détenteurs du pouvoir économique, pesaient aussi lourd dans la vie des territoires que les Africains majoritaires. Certains estimaient même que chaque groupe ethnique devrait conserver ses modes traditionnels de désignation de ses représentants 2.
L'ordonnance du 21 août 1945 avait institué un régime électoral provisoire pour l'élection, au double collège, des représentants des T.O.M. aux Assemblées constituantes.

2. Première bataille contre le double collège

A la veille du débat sur la loi électorale à la première Assemblée Constituante, le Gouverneur général Cournarie faisait connaître au ministre de la F.O.M. sa préférence pour le double collège et pour une élection indirecte. La liste électorale serait établie d'après le rôle de l'impôt de capitation (10 millions d'imposables pour l'ensemble de l'A.O.F.). Il y aurait un délégué pour cent électeurs. Les 100 000 délégués éliraient à leur tour les représentants du deuxième collège 3.
Le 5 avril 1946, le député Jean Biondi présentait à l'Assemblée le rapport fait au nom de la commission des T.O.M. sur la proposition de Bardoux : collège unique, extension du collège électoral, un député pour 800 000 habitants ou fraction égale ou supérieure à 400 000 4.
René Malbrant (Tchad) et Maurice Kaouza (Soudan) déposèrent un amendement rétablissant le double collège. Selon eux, le mode de scrutin choisi éliminerait toute représentation métropolitaine. « Nous risquons de mettre aux mains d'une oligarchie d'évolués ou de chefs un pouvoir qui risque de devenir oppressif et conduire à des sécessions que vous pouvez comme moi imaginer » (Malbrant).
Au nom du M.R.P., Pierrre Beauquier prit position en faveur du collège unique : c'est un devoir de justice, mais c'est aussi l'intérêt de la France d'associer tous les Africains à son effort de développement.
L'éloquence de Lamine Guèye emporta — provisoirement — les dernières résistances. Les élus d'Afrique noire étaient unanimes à réclamer le collège unique.

Et avec la distinction entre citoyens de statut civil et de statut personnel, dans quel collège le placer, lui qui, Africain et musulman, avait été président de Cour d'appel à la Martinique et à la Réunion ; ou Senghor, né sujet français, devenu citoyen pour passer l'agrégation de grammaire ; ou encore G. d'Arboussier, fils d'un gouverneur des colonies et d'une Peul, diplômé lui-même de l'École coloniale ?

Le député du Sénégal demandait à ses collègues de faire confiance à la sagesse africaine pour maintenir une représentation des métropolitains, et de ne pas contredire dans les faits les principes d'égalité et de justice inscrits dans la Déclaration des droits.
Convaincus par « la vive intelligence et la grande sensibilité » de Lamine Guèye, Malbrant et Kaouza retirèrent leur amendement. La loi fut votée ; elle instituait le collège électoral unique, le scrutin de liste majoritaire (sauf en Mauritanie : scrutin uninominal à un tour pour l'unique siège) et attribuait 2 sièges au Sénégal, 5 à la Côte d'Ivoire, 3 à la Guinée, 5 au Soudan, 3 au Niger, 2 au Dahomey, et 1 à la Mauritanie, soit 21 pour toute l'A.O.F.

Les électeurs de statut personnel appartenaient à deux catégories :

3. Rétablissement du double collège

Cette loi du 5 avril 1946 fut, nous l'avons dit, emportée par le référendum négatif du 5 mai. Aussi, avant de se séparer, la deuxième Assemblée constituante dut discuter une nouvelle loi électorale, valable pour les élections à l'Assemblée nationale. Le rapporteur fut Pierre Beauquier, qui, cette fois, acceptait le double collège pour l'A.E.F., le Cameroun et le Togo, et une réduction de la représentation d'Outre-mer, imposée à la Commission des T.O.M. par le gouvernement.
Félix Tchicaya fit adopter à main levée un amendement rétablissant partout le collège unique. Mais, à la suite d'une protestation de René Malbrant, le ministre Marius Moutet demanda une seconde lecture de l'amendement qui, cette fois, fut rejeté …
L'A.O.F. se voyait attribuer 13 sièges : 2 au Sénégal, 3 à la Côte d'Ivoire, 2 à la Guinée 5, 3 au Soudan, 1 au Niger, 1 au Dahomey, 1 à la Mauritanie. Le collège électoral était celui qu'avait prévu la loi mort-née du 5 avril 1946 6.
La représentation de l'A.O.F. fut modifiée en cours de législature du fait du rétablissement de la Haute-Volta. La loi du 1er avril 1948 attribuait 3 sièges à la Haute-Volta, un deuxième au Niger et réduisait à deux ceux de la Côte d'Ivoire 7.
Jusqu'à la fin de la législature, le double collège sera maintenu. Le 18 septembre 1947, sur rapport de Marc Rucart, sénateur de la Côte d'Ivoire, le congrès du Parti républicain, radical et radical-socialiste avait renouvelé avec force son opposition au collège unique 8.
Lorsqu'à la fin de 1950, vint en discussion la réforme de la loi électorale, L.S. Senghor déposa une proposition tendant à rétablir la loi du 5 avril1946, et notamment le collège unique 9.
Le projet gouvernemental ne retenait rien de cette proposition, sinon un nouvel élargissement du corps électoral. Une loi du 27 août 1947 y avait inscrit « tous ceux qui peuvent justifier savoir lire en français ou en arabe » 10. Le texte de 1951 ajoutait les chefs de famille imposables, les mères de deux enfants vivants ou morts pour la France et les titulaires d'une pension civile ou militaire. Le Soudan, la Guinée, la Haute-Volta et le Dahomey se voyaient attribuer un siège supplémentaire.
La bataille autour du projet fut très dure. Les députés d'O.M. savaient que le gouvernement, présidé alors par Queuille, avait besoin de leurs voix. Ils voulaient en profiter pour faire passer le collège unique. Le président de la République, Vincent Auriol, s'étonnait de cette exigence : « Il n'est pas possible de voir les députés élus par l'administration se prononcer contre le gouvernement » 11. Finalement l'Assemblée nationale adopta le 24 avril 1951 un texte à peu près satisfaisant. Restait l'obstacle du Conseil de la République. La majorité y était en faveur du double collège. Il suffisait que les sénateurs laissent dormir le texte au-delà du délai légal de deux mois pour qu'il soit enterré. Lamine Guèye et Lisette firent le« forcing »auprès du président Queuille. Un texte de compromis fut élaboré :les sénateurs exigeaient le maintien du double collège en A.E.F. et au Togo, mais acceptaient d'augmenter de six le nombre de députés africains. La loi votée le 19 mai, fut promulguée le 23 mai 1951 12.

B. Élections aux diverses assemblées

1. Assemblée Nationale

Dès le 10 novembre 1946, les territoires avaient été appelés à élire leurs députés. En Mauritanie, il n'y avait qu'un seul siège. Les Maures se désintéressèrent des p:emières élections. Horma ould Babana, soutenu par les socialistes sénégalais, fut élu avec les voix de la vallée du Sénégal et obtint 63 % des suffrages exprimés. Mais il y avait eu 41 % d'abstentions.
Au Sénégal, les deux représentants à l'Assemblée constituante Lamine Guèye et Léopold Sédar Senghor retrouvèrent facilement leur siège à l'Assemblee nationale, réélus par 66,5 % des inscrits et 98,5 % des votants. Une liste R.D.A., patronnée par le G.E.C. et composée de Joseph Corréa et Abdoulaye Sadji (ce dernier avait cependant retirée sa candidature, en dernière minute, « par souci de maintenir l'unité du pays ») obtint 1 180 voix.

En Guinée, les deux principaux groupes ethniques, qui s'étaient disputé l'unique siège du 2e collège pour la Constituante, purent cette fois faire élire chacun leur candidat, Yacine Diallo pour les Peul et Mamba Sano pour les Malinké.

Au Soudan eut lieu le premier d'une longue série d'affrontements entre le P.S.P. (de tendance socialiste) et l'Union Soudanaise, section du R.D.A. Le premier eut les deux tiers des voix et deux députés, Fily Dabo Sissoko et Silvandre. La seconde fit élire Mamadou Konaté, une des grandes figures du mouvement.

C'est un des délégués du Niger au Congrès de Bamako, Hamani Diori, qui fut le premier député de ce territoire.
La circonscription électorale Dahomey-Togo n'existait plus : le Togo, territoire sous tutelle, était de nouveau séparé de l'A.O.F. à laquelle il avait été rattaché administrativement pendant la guerre. De ce fait, le Dahomey n'avait plus qu'un siège de député. Le P. Bertho le laissa à Sourou Migan Apithy, qui fut élu après le retrait de la candidature d'Émile Poisson, à qui avait été promis un siège de sénateur.
Les choses furent plus compliquées en Côte d'Ivoire. Cette circonscription électorale comprenait encore l'essentiel de l'ancien et futur territoire de la Haute-Volta. On y trouvait trois zones principales : la Basse-Côte, la région de Bobo-Dioulasso et le pays mossi. Le Parti Démocratique de Côte d'Ivoire (P.D.C.I.) section du R.D.A., choisit des candidats qui puissent représenter chacune de ces régions, respectivement Houphouët-Boigny, Ouezzin Coulibaly et Philippe Zinda Kaboré. Ce dernier, jeune pharmacien de 27 ans, était le fils du Naba de Koudougou et reçut donc l'appui de la chefferie, à la condition qu'il défende le rétablissement de la Haute-Volta et l'achèvement du tronçon Bobo-Dioulasso-Ouagadougou du chemin de fer Abidjan-Niger. Quelques mois plus tard, les chefs s'aperçurent que leur élu n'était pas un partisan résolu de la reconstitution du territoire et qu'il se permettait d'attaquer la chefferie traditionnelle. De passage à Abidjan en mai 1947, il y mourut subitement, peut-être empoisonné.
Les trois députés de Côte d'Ivoire et Mamadou Konaté s'inscrivirent au groupe parlementaire de l'Union des Républicains Résistants (U.R.R.) apparenté au groupe communiste.
Apithy, Yacine Diallo, Silvandre et les deux députés du Sénégal rejoignirent le groupe de la S.F.I.O.
Les quatre autres représentants de l'A.O.F. restèrent non-inscrits.
Après le rétablissement de la Haute-Volta, ce territoire désigna trois députés. Les élections étaient primitivement fixées au 6 juin 1948. Le gouverneur Mouragues obtint qu'elles soient repoussées au 27 juin : à cette date, les pluies ont commencé dans l'ouest du pays, où le R.D.A. était fortement implanté. Pour les paysans de la région, les cultures passaient avant les élections. Les abstentions furent nombreuses et le R.D.A. perdit beaucoup de voix sur lesquelles il pouvait compter. Par contre les conditions climatiques et les consignes de la chefferie permirent une participation massive des électeurs mossi. L'Union Voltaïque fit passer ses trois candidats : Mamadou Ouedraogo représentait la région de Ouahigouya, Henri Guissou celle de Ouagadougou et Koudougou, Nazi Boni, celle de Bobo-Dioulasso 13.
Le Niger avait obtenu un siège de plus : il fut occupé par Georges Condat, candidat d'un nouveau parti, l'Union Nigérienne des Indépendants et Sympathisants (U.N.I.S.) qui, avec 13 000 voix contre 5 500, battit Djibo Bakary, candidat du R.D.A.
Au début de la législature, tous les députés africains appartenaient à la majorité tripartite: communiste, socialiste et M.R.P. Investi le 13 décembre 1946, Léon Blum (S.F.I.O.) forma le nouveau gouvernement. Marius Moutet conservait le portefeuille de la F.O.M., assisté d'un sous-secrétaire d'État, également socialiste, Gaston Defferre. Lamine Guèye était sous-secrétaire d'État à la Présidence du Conseil. Le 16 janvier 1947, à la suite de l'élection du premier Président de la IVe République, Vincent Auriol (S.F.I.O.), le gouvernement Blum démissionna. Il fut remplacé le 21 janvier par un gouvernement Ramadier. Moutet restait à la F.O.M.

Le 4 mai 1947, Paul Ramadier se séparait de ses ministres communistes. Dès lors le Parti communiste entra dans l'opposition. Ses députés votèrent systématiquement contre le gouvernement, suivis par les apparentés. C'est seulement en octobre 1950 que les députés R.D.A. rallièrent la majorité.

L'insurrection malgache, déclenchée dans la nuit du 29 au 30 mars 1947, provoqua une réaction des élus africains. Au débat sur Madagascar, qui eut lieu le 9 mai 1947, Lamine Guèye (futur conseiller juridique des élus malgaches) et Houphouët-Boigny dénoncèrent les contradictions entre les égards dont la Métropole entourait les parlementaires africains et l'attitude de l'administration coloniale envers les populations.

« Il ne faudrait pas que notre présence dans cette Assemblée soit considérée comme une fin en soi, il ne faut pas qu'on considère que le fait de nous voir siéger parmi vous — et cela nous honore certainement —, que le fait d'avoir vu Me Lamine Guèye membre du gouvernement, suffisent pour transformer la vie sociale des populations que nous représentons » 14.

Le 5 juin, Senghor présida au Vélodrome d'Hiver de Paris un meeting pour « protester contre l'imminente levée d'immunité parlementaire des députés malgaches, MM. Ravoahangy, Rabemananjara et Raseta, considérés comme les chefs de l'insurrection malgache » 15.
Trois fois au cours de la législature, l'arbitrage des députés africains décida de l'investiture d'un nouveau Président du Conseil. A Léon Blum, le 21 novembre 1947, et à Jules Mach, le 13 octobre 1949, il manqua les voix des élus R.D.A. pour être investis. A l'inverse, le 31 août 1948, Robert Schuman passa grâce aux voix des députés d'O.M., socialistes et indépendants.

2. Conseil de la République

C'est la loi du 27 octobre 1946 qui organisa la deuxième assemblée métropolitaine, appelée Conseil de la République. Les T.O.M., le Cameroun et le Togo avaient 44 représentants, dont 19 pour l'A.O.F. Les sénateurs d'A.O.F. étaient élus par les Conseils généraux au double collège. Le collège unique n'existait qu'au Sénégal, et bien entendu en Mauritanie, où il n'y avait qu'un seul représentant. Les sièges étaient ainsi répartis :

Territoires Collège unique 1er Collège 2e Collège Total
Côte d'Ivoire 2 3 5
Dahomey 1 1 2
Guinée 1 1 2
Mauritanie 1 1
Niger 1 1 2
Sénégal 3 3
Soudan 1 3 4

L'élection eut lieu dès la première session des Conseils généraux, en janvier 1947. La Haute-Côte d'Ivoire avait eu deux sièges de députés :elle n'aurait qu'un sénateur du 2e collège, contre deux pour la Basse-Côte. L'Union Votaïque fit élire Henri Guissou. L'élection fut contestée par son compatriote de Koudougou, Maurice Yaméogo : le nouveau sénateur n'avait pas les 35 ans exigés par la loi. Plusieurs jugements supplétifs permirent à Guissou de vieillir assez rapidement pour franchir à temps la barre des 35 ans 16. Comme Guissou, Étienne Djaument et Philippe Franceschi firent le plein des voix du 2e collège. Au 1er collège, un parachuté, Marc Rucart, fut élu au 1er tour, et Gaston Lagarosse, au 2e tour.
Au Dahomey, Émile Poisson fut, comme on le lui avait promis, l'élu du 1er collège, et Louis Ignacio Pinto, celui du second.

En Guinée, Ferracci l'emporta assez aisément sur Guignouard au 1er collège, tandis que Mamadou Fadé Touré, revenu du Soudan, fut élu de justesse devant le médecin africain de Benty, Momo Touré.

L'unique siège de Mauritanie revint à un administrateur des colonies, Yvon Razac, soutenu par le M.R.P.
Le Niger envoya au Conseil de la République Raoul Steiff pour le 1er collège et Djibrilla Maïga pour le second.
Les trois sénateurs du Sénégal furent élus largement par un collège unique : Ousmane Socé Diop, Charles Cros et Alioune Diop.
Au Soudan, le R.P.F. fit élire Cozzano, directeur de l'École Normale de Katibougou. Au 2e collège, le P.S.P., majoritaire au Conseil général, accueillit la candidature de Marius Moutet, ministre de la F.O.M., et lui adjoignit Amadou Doucouré et Amadou M'Bodge. Une fois au Palais du Luxembourg, les nouveaux élus se répartirent en trois groupes :

Le rétablissement de la Haute-Volta entraîna une modification de la répartition des sièges. Le gouvernement voulut en profiter pour réduire le nombre des sénateurs d'O.M. Durant le débat qui s'instaura en août 1948 à l'Assemblée nationale, Apithy et Senghor essayèrent en vain de faire adopter le collège unique pour l'élection des sénateurs. La loi du 23 septembre 1948 réorganisa la représentation, en donnant un siège de plus à l'A.O.F.

Territoires Collège unique 1er Collège 2e Collège Total
Côte d'Ivoire 1 2 3
Dahomey 1 1 2
Guinée 1 1 2
Haute-Volta 1 2 3
Mauritanie 1 1
Niger 1 1 2
Sénégal 3 3
Soudan 1 3 4

Territoires Collège unique 1er Collège 2e Collège Total Côte d'Ivoire 1 2 3 Dahomey 1 1 2 Guinée 1 1 2 Haute-Volta 1 2 3 Mauritanie 1 Niger 2 Sénégal 3 3 Soudan 3 4

De nouvelles élections eurent donc lieu le 14 novembre 1948.
Le. siège du 1er collège de Côte d'Ivoire resta à Lagarosse, Rucart étant parti se faire ehre en Haute-Volta. Djaument avait quitté le R.D.A., Biaka Boda le remplaça, Franceschi conservant son siège.
Au Dahomey, le siège du ter collège fut l'objet de contestations :de nombreux incidents avaient émaillé le scrutin. Marescaux un administrateur en activité, avait été .élu au bénéfice de l'âge contre Émile Poisson, les deux ayant obtenu 6 voix. Finalement l'élection fut annulée le 25 janvier. Le 27 février 1949, Poisson retrouvait son siège. Pinto fut facilement réélu au 2e collège.

En Guinée, Ferracci fut réélu au 1er collège. Fodé Touré fut moins heureux au 2e collège : le gouverneur Roland Pré avait comme directeur de cabinet un Antillais, Fernand Saller. Celui-ci proposa à son frère Raphaël, gouverneur de la F.O.M. et ancien directeur du Plan au ministère de la F.O.M., de venir se présenter à Conakry. Avec de tels appuis, l'élection ne posa pas de problème.

Rucart, nous l'avons dit, alla prendre le siège du 1er collège en Haute-Volta. L'Union Voltaïque fit élire ses candidats du 2e collège, Nouhoum Sigué et Christophe Kalenzaga.
Malgré quatre autres candidatures, Yvon Razac conserva son siège en Mauritanie. Au Niger, Gaston Fourrier fut préféré à Steiff pour le 1er collège. Oumar Bâ (U.N.I.S.), au 2e collège, battit le candidat du R.D.A., le sénateur sortant, Djibrilla Maïga.
Au Sénégal, la scission du parti socialiste coûta à Alioune Diop son siège, qui fut pris par Mamadou Dia, présenté par le Bloc Démocratique Sénégalais (B.D.S.). Les deux autres sénateurs sortants, Ousmane Socé Diop et Charles Cros, furent réélus.
Au Soudan, Cozzano (1er collège), Amadou Doucouré et Amadou M'Bodge (2e collège) furent réélus. Le siège de Marius Moutet, élu dans la Drôme, fut enlevé par Alassane Haïdara (U.S.-R.D.A.).

3. Assemblée de l'Union Française

Cette Assemblée avait vocation d'être un Parlement fédéral. Elle fut effectivement un forum où des personnalités d'O.M. et des spécialistes français des questions d'O.M. purent se livrer à l'étude approfondie des problèmes de l'U.F. Mais elle souffrit de deux handicaps : d'abord son rôle était uniquement consultatif, le gouvernement et les députés tinrent rarement compte de ses avis pourtant fort pertinents ; ensuite les partis métropolitains attribuèrent trop souvent les sièges qui leur revenaient à ceux de leurs membres, qui, battus à d'autres élections, trouvaient à l'Assemblée de l'U.F. un dédommagement et un tremplin pour repartir vers des Assemblées plus prestigieuses. L'A.U.F. fut organisée par les lois du 27 octobre 1946 et du 4 septembre 1947, dont le décret du 6 septembre 1947 précisa les modalités d'application. Elle était composée en principe de :

Les élections à la première A.U.F. eurent lieu en A.O.F. le 3 novembre 1947. La Haute-Volta, dont le rétablissement venait d'être décidé, mais n'était pas encore effectif, choisit des représentants le 28 juillet 1948. Parmi eux figura un officier hors cadre, le capitaine Michel Dorange. Désireux d'utiliser l'influence que cet homme avait sur les anciens militaires de la région de Ouahigouya, le gouverneur Mouragues l'imposa sur la liste de l'Union Voltaïque et, de son propre aveu, fit un faux pour faire disparaître une cause de nullité de l'élection 17. En Mauritanie, l'élection fut invalidée pour vice de forme, mais confirmée par un deuxième tour de scrutin. Au Soudan enfin, la candidature de Giudicello Toussaint Cortinchi, ancien secrétaire général du territoire, revenu de Guinée pour se présenter avec le soutien de la section locale du R.D.A. souleva deux difficultés : ayant quitté des fonctions d'autorité dans le territoire seulement deux mois avant les élections, il était en principe inéligible ; une argutie juridique permit de contourner cet obstacle. En outre, la direction du Mouvement appréciait peu le choix que sa section soudanaise avait fait d'un fonctionnaire colonial. Mais Cortinchi avait toujours été favorable à l'Union Soudanaise. Il fut donc élu.
Les membres de l'A. U .F. étaient élus pour six ans et renouvelables par moitié tous les trois ans. A la fin de 1950, le gouvernement fit voter une loi selon laquelle l'A.U.F. serait désormais renouvelée intégralement tous les six ans à compter du 10 décembre 1947. Les premiers élus siégèrent donc à Versailles pendant toute la durée de la première législature de l'Assemblée nationale et au-delà.
La première session de l'Assemblée de l'Union Française fut ouverte solennellement par le Président de la République, Vincent Auriol, le 10 décembre 1947. Daniel Boisdon fut élu président, Gabriel d'Arboussier et Babacar Diop étaient au nombre des vice-présidents.

***

Leur présence et leurs activités au sein des Assemblées métropolitaines furent pour toute une génération de dirigeants africains une bonne école de formation politique. Certains y apprirent sans doute le rituel de la démocratie plus que ses principes. Mais cette forme de gouvernement suppose que le peuple, détenteur théorique de la souveraineté, ait reçu la formation civique nécessaire à l'exercice de ses droits. Même si les nouvelles institutions permirent qu'une élite plus large se dégageât au niveau local, la politisation des masses ne dépassa guère les centres urbains. Les populations rurales restèrent sous l'influence de la chefferie et conservèrent les modes traditionnels de vie sociale.

Notes
1. D'après André Holleaux, in Revue Juridique et Politique de l'Union Française, 1956, pp. 1-54.
2. Robert Lemaignen, in Marchés Coloniaux, no 41 du 24 août 1946.
3. Télégramme no 2062/ AP du 19 mars 1946.
4. Débats de l'Assemblée nationale constituante, 2e séance dus avril 1946.
5. Dans le texte primitif, la Guinée n'avait qu'un seul siège ; une nouvelle loi, du 7 octobre 1946, lui en attribua un second.
Loi du 5 octobre 1946, J.O.R.F. du 8 octobre 1946.
7. J.O.R.F. du 2 avril 1948.
8. Marchés Coloniaux, n° 98 du 27 septembre 1947.
9. Afrique Nouvelle, no 171 du 11 novembre 1950.
10. J.O.R.F. du 28 août 1947.
11. Vincent Auriol. Mon Septennat, 1947-1954, Paris, Gallimard, p. 341.
12. J.O.R.F. du 24 mai 1951.
13. Albert Mouragues. Une goutte d'eau dans la mer, mémoires inédits, p. 139.
14. Houphouët-Boigny, in J.O.R.F., Débats de l'Assemblée nationale, séance du 9 mars 1947.
15. Vincent Auriol, op.cit., p.45, note 1.
16. Archives de la Haute-Volta.
17. Mouragues, op.cit., p.166.

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